Interview de Cécile Duflot par Médiapart
Au-delà de l’explication avancée que l’élection présidentielle n’est pas calibrée pour les écologistes, quelles leçons tirez-vous de cette campagne où vous peinez à vous faire entendre ?
On ne pourra faire un bilan complet qu’après le 22 avril. On peut aussi espérer une bonne surprise. En 2007, je ne pensais pas qu’on pouvait faire un résultat si bas (1,57 %) mais je sentais bien que la campagne avait du mal à prendre. Cette année, je sais qu’il est possible que nous soyons déçus par le résultat étant donné l’engagement de notre candidate et du mouvement dans cette campagne mais, à l’inverse, je sens beaucoup de gens hésiter sur leur vote. Ce que dit Eva Joly, sa capacité à incarner l’éthique, la constance de ses positions, sa détermination à faire campagne jusqu’au bout malgré un nombre significatif d’embûches, peuvent forcer l’admiration. En tout cas, la mienne. On ne peut donc pas tirer de bilan définitif.
En revanche, on peut déjà dire que la campagne présidentielle de 2012 est très étonnante. Parce qu’elle a, à la fois, repris des canons d’anciennes campagnes avec des meetings, des orateurs et une surenchère sur le nombre de participants, et qu’elle se polarise sur des sujets complètement périphériques. On est dans une crise financière et systémique d’ampleur, on est dans une crise climatique, sans parler des risques pesant toujours sur Fukushima ; et on n’en débat quasiment pas. Pas plus que des enjeux industriels sur les énergies renouvelables.
On a aussi une campagne, qui peut rappeler l’affaire des diamants de Bokassa (touchant Valéry Giscard d’Estaing en 1981, ndlr), avec des suspicions considérables pesant sur un président de la République candidat, dont on a l’impression qu’elles tombent sur un tapis de mousse. A part Eva Joly, personne ne s’empare de ces sujets.
Enfin, on n’arrête pas de faire des articles pour dire que l’écologie disparaît des écrans. Or elle subsiste justement via ce débat, qui consiste à savoir pourquoi on n’en parle pas ! Il y a là un impensé très fort. Mais quand on en est à faire une semaine de campagne sur le permis de conduire, on se demande pourquoi pas sur le contrôle technique la semaine prochaine…
Comment expliquez-vous cet impensé ?
Il y a une forme de tétanie collective par rapport aux enjeux. Il faut une énergie politique et une forme de courage pour les affronter. C’est un peu comme dire à la barre d’un paquebot qu’on ne va pas tourner un peu à droite ou à gauche mais donner un coup de gouvernail progressif mais très puissant. Dans une campagne où le choix des deux principaux candidats, et notamment celui de l’alternative, en l’occurrence François Hollande, a été de choisir la prudence comme valeur cardinale, c’est structurellement impossible. C’est une campagne de caractères, et pas une campagne de projets, de propositions, même pas de programmes.
Je peux comprendre ce choix : Hollande a fait le pari du calme et de l’apaisement après l’agitation d’un président de la République dont on avait l’impression que son caractère donnait des embardées politiques considérables avec pour seule constante d’aider ses propres amis, sans ligne ni libérale ni vraiment autoritaire. Nicolas Sarkozy a tellement hystérisé la vie politique que François Hollande a intuitivement perçu cette nécessité de calme, qui correspond d’ailleurs à son caractère. C’est aussi sur ces qualités là qu’il a paradoxalement été choisi. C’est logique.
En même temps, cela a ouvert un espace à une autre figure de la gauche, incarnée avec un talent personnel par Jean-Luc Mélenchon, mais qui est dans un impensé tout aussi grand. Il le résout d’une tout autre manière en disant : “Voilà tout ce qu’il faut faire, mais sans moi, car je ne vais pas au gouvernement et nos programmes sont incompatibles.”
Et au milieu de tout cela, on a les écologistes avec une forme de naïveté presque croquignolette, avec leur gros projet bien travaillé, qui disent que la crise financière est aussi écologique, et est surtout une crise d’un modèle de développement. Le risque, c’est que cette campagne présidentielle soit une petite bombe à retardement. Parce que finalement rien n’aura été réglé dans cette campagne. Si François Hollande est élu, on aura soldé une des questions : se débarrasser de Nicolas Sarkozy et avoir un président plus calme. Mais cela ne dira rien sur le mandat réel qui lui est donné. Cela risque d’être une faiblesse structurelle très forte des années qui viennent.
En 2007 déjà, on avait assisté à un affrontement de caractères… Les écologistes doivent-ils se poser la question de leur participation à la présidentielle ?
Pour les écologistes, oui, la question de la présidentielle doit se poser. Il y a aujourd’hui une contradiction dans les aspirations des Français. Ils veulent un personnel politique différent, des gens de la société civile qui ne soient pas dans le moule et qui ne fassent pas de la langue de bois. Mais, au bout du compte, les candidats qui tirent leur épingle du jeu dans l’appréciation médiatique et dans les sondages sont des professionnels de la profession. Ils y pensent tous les jours depuis un moment, même si ce n’est pas en se rasant…
Pour moi, la contradiction entre la présidentielle et le projet écologiste se règle en diminuant le poids donné à cette élection. Il faut redonner davantage de place aux législatives. Il existe un pays, la Finlande, où le président est élu au suffrage universel direct mais qui a une fonction d’incarnation, éventuellement de politique étrangère mais aucunement de politique intérieure.
On a aussi appris (dans le dernier livre de Denis Demonpion et Laurent Léger sur la santé des présidents, ndlr) que Nicolas Sarkozy prendrait des “médicaments non homologués”. En vrai français, tout le monde comprend ce que cela veut dire. Je ne sais pas si c’est exact mais ça peut sembler plausible parce que chacun sait qu’on demande au président de la République d’être omniscient, de décider de tout sur tous les sujets. Mais c’est impossible ! On ne peut pas demander à un être humain, serait-il paré de toutes les qualités, de savoir à lui seul tout sur tous les sujets. Une bonne gouvernance politique doit être de l’intelligence collective.
Ces cinq dernières années, l’interaction entre la Ve République et la personnalité de Nicolas Sarkozy a tout fait exploser. Cette fois, c’est nécessaire : il faut un premier ministre et un gouvernement qui gouvernent et l’Assemblée nationale ne doit pas être un bataillon de parlementaires qu’on convoque dans la salle des fêtes de l’Elysée pour dire ce qu’ils doivent voter. Il y a un vrai travail à faire, dans le cadre des institutions qui existent, pour les ramener à leur place et réduire la place de la présidentialisation sans contre-pouvoir même si l’objectif pour nous reste de mettre en place une sixième république.
En attendant, les écologistes sont démunis dans le cadre actuel…
Non. Il faut d’abord faire ce travail et, ensuite, il faudra que les écologistes réfléchissent sur la signification de leur présence à l’élection présidentielle. Parce qu’à l’inverse, s’il n’y avait pas Eva Joly, plus personne ne parlerait réellement de ce qu’est la transition écologique. Elle le fait avec sa petite voix à elle, elle le fait aujourd’hui à un niveau forcément insatisfaisant dans les sondages, mais elle le fait. Et je pense que l’estime portée à sa candidature et l’écoute de ses propos sont plus grandes que ne l’indiquent les sondages. C’est tout le paradoxe : la présidentielle est encore l’élection à laquelle s’intéressent l’immense majorité des Français. On ne peut pas ne pas y entendre la voix des écologistes.
Mais on voit pourtant que si aucun des deux grands candidats ne se saisit de la thématique écologiste, comme Nicolas Sarkozy en 2007 avec le Grenelle de l’environnement, les écologistes ne parviennent pas seuls à imposer ces sujets…
C’est aussi un sujet sur lequel les autres candidats n’ont pas envie de s’exprimer. Par ailleurs, depuis le début de cette campagne, je ne cesse de répondre à la question de savoir si c’est l’accord avec le Parti socialiste qui a “plombé” la candidature d’Eva Joly. Il y a cinq ans, José Bové a fait campagne sans penser un instant faire un accord avec le Parti socialiste. Il a fini à un peu plus de 1,32 %. Et nous, avec Dominique Voynet, avions rejeté un accord après avoir travaillé en ce sens. On a fini à 1,57 %. Le PCF n’avait pas davantage fait d’accord, Marie-George Buffet a fait 1,93 %. Il faut donc se poser la question de la personnalité, de la manière d’en parler, des thématiques choisies : le climat de cette présidentielle sera forcément différent d’une autre. Les équations personnelles sont différentes d’un scrutin à l’autre.
En août 2008, lors des journées d’été de Toulouse, vous étiez aux côtés de François Hollande et vous aviez dit que les leçons du 21 avril 2002 n’avaient pas été tirées. Considérez-vous que la gauche l’a fait dans cette campagne alors qu’elle donne surtout l’impression de ne pas se parler ?
On peut nous faire beaucoup de reproches et même considérer que cela nous a fait du tort, mais on a été de ceux qui voulaient le plus avoir des discussions avec les autres formations politiques. On a proposé des échanges avec Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche, et publiquement à la fête de l’Huma et en tête-à-tête à de nombreuses reprises. Mais cela ne rentrait pas dans le cadre de leur stratégie. Dont acte.
C’est peut-être une double naïveté : croire qu’on pouvait faire une campagne en débattant des idées et parier sur la bonne volonté de tous de se mettre autour de la table. On sait bien que l’accord avec le PS ne vivra que si on le fait vivre. On ne va pas attendre la victoire de je ne sais quelle gauche en 2017 pour engager la transition énergétique. C’est aussi dans cette logique que Jean-Paul Besset (eurodéputé EELV) et moi nous avions rencontré Nicolas Sarkozy en 2009 lorsqu’il envisageait de mettre en place la taxe carbone. C’est maintenant qu’il faut agir, avec ceux qui sont aux commandes.
La leçon tirée du 21 avril 2002, c’est celle la déception. François Hollande la résout en promettant peu. Sauf qu’on ne peut pas imaginer que la gauche aux responsabilités, rien qu’avec son logiciel de justice sociale et d’un meilleur partage des richesses, ne crée pas une envie de transformation. C’est impossible de croire qu’on ne sera pas déçus si un président de gauche ne change pas les choses en profondeur. Même un président qui aurait peu promis pendant sa campagne.
Il y a autre une solution, celle de Jean-Luc Mélenchon, qui est de dire “c’est moi tout seul ou c’est personne”. Mais cela ne marche pas non plus. La gauche et les écologistes ont un rendez-vous majeur : ne pas recréer les conditions de la défaite comme en 1986, 1993 et 2002. Nous, on fait un autre pari – et de ce point de vue, on est le seul parti à avoir tiré les leçons du 21 avril – qui est à la fois d’affirmer très clairement ce que sont les écologistes, d’affirmer qu’on est capables de faire des accords, mais que cela implique la mise en œuvre de réformes. Sinon, ce n’est pas possible.
Vous avez récemment multiplié les attaques, de manière concertée ou non, à vous de le dire, à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ?
Non, on n’a pas multiplié les attaques, non ce n’était pas concerté, et oui c’était depuis le début. J’ai entendu la même chose sur Eva Joly qui taperait maintenant sur Marine Le Pen parce qu’on lui aurait reproché de taper sur Mélenchon. Or, au Cabaret sauvage (le 18 octobre), elle fait la moitié de son discours sur le Front national ! Toute l’histoire d’Eva Joly est aussi une réponse à la xénophobie portée par Marine Le Pen.
Mais là vous avez choisi des formules virulentes…
Mais quand Jean-Luc Mélenchon parle de « capitaine de pédalo » (sur François Hollande) ou de « semi-démente » (sur Marine Le Pen), c’est autrement virulent ! Il a été d’une grande sévérité sur Hollande mais cela ne lui est pas reproché car cela va avec le personnage. Moi quand je parle de « regard dans le rétroviseur » (à propos du Front de gauche), cela paraît agressif ! Et puis le succès du Front de gauche prenant de l’ampleur, on a peut-être davantage entendu nos critiques.
Sauf qu’il y a un vrai sujet : n’importe quel écolo sincère qui se voit donner des leçons d’écologie à Clermont-Ferrand (Mélenchon y a tenu un meeting consacré à ces thèmes, ndlr) est agacé ! Tous les écolos vont régulièrement à Clermont-Ferrand pour manifester contre le nouvel incinérateur dont le projet a été adopté avec les voix communistes qui applaudissaient justement Mélenchon ce soir-là. C’est assez agaçant.
Avoir de nouveaux alliés écolos, on ne crache pas dessus, au contraire, Ce serait même une bonne nouvelle. Mais quand c’est avec ceux qui nous ont beaucoup fragilisés dans des alliances droite-PS-PCF, ou même UMP-PCF comme pour le stade privé à Nanterre, il y a un problème de discordance. Donc oui pour trouver des nouveaux alliés, non pour se faire donner des leçons par ceux qui, dans les actes, ne sont pas en concordance avec leurs discours !
Mais sur quoi s’appuie Eva Joly quand elle dit que Mélenchon est « un productiviste allié à un parti pro-nucléaire »? Parce qu’il dit le contraire dans ses discours et dans son programme. Vous ne le jugez pas sincère ?
J’ai été dix jours assise devant ma télé à regarder toutes les émissions politiques et les discours (après avoir été renversée par une voiture, ndlr). Je n’ai pas seulement vu son discours de Clermont-Ferrand, mais aussi celui de Rouen. Ce n’était pas tout à fait la même chose, question écologie. Il y a une adaptation au public, subtile mais très réelle. J’ai aussi entendu Jean-Luc Mélenchon se féliciter de la vente des Rafales à l’Inde. Au-delà de Dassault, quand on a une vision écologiste internationale, on sait que l’Inde a besoin de son argent public pour sa population, plutôt que pour envisager de bombarder le Pakistan !
Dans un certain nombre d’écrits, je ne nie pas qu’il y ait une véritable réflexion. Mais dans des votes, y compris de son groupe au parlement européen, il y a des choses qui ne sont pas raccords. C’est cette discordance qui provoque l’agacement des écologistes. Il faut juste le comprendre. Ce n’est pas une stratégie secrète !
Jean-Luc Mélenchon a déployé durant sa campagne la notion de “planification écologique”, un terme déjà emprunté par Nicolas Hulot et Olivier Besancenot en 2007, qui parvient à articuler anticapitalisme et écologie. EELV ne défend-il pas de son côté l’économie de marché, et n’est-ce pas là que se situe le désaccord entre vous ?
C’est vrai que la présidentielle offre une prime à la simplification, et que notre programme est plus complexe que le seul mot “anticapitaliste”. C’est peut-être aussi ça la faiblesse de l’écologie politique dans cette élection. Dans le contexte, on veut que ça soit blanc ou noir, alors qu’avec nous, c’est gris clair et gris foncé.
Les vraies questions, ce sont : « Qu’est-ce qu’on produit ? Comment on produit ? Pourquoi on produit ? », et pas seulement la question de la propriété des moyens de production. Le problème n’est pas là. Ce n’est pas économie de marché contre anticapitalisme. Le marché ne peut pas régler ces questions-là, très clairement. Pour la simple raison qu’il ne s’occupe pas des questions de long terme. L’alternative se trouve dans une économie plurielle où coexistent différents modes dont la gestion par les collectivités locales ou les coopératives, grâce notamment à une loi permettant les préemptions d’entreprises. Là-dessus, nous sommes d’accord avec le Front de gauche.
Pour nous aussi, en matière de politique énergétique, on doit rapprocher les lieux de production et les lieux de consommation, comme on doit favoriser l’émergence de coopératives de production énergétique, par exemple de production d’électricité. Pas seulement garantir le statut public d’EDF et nationaliser Total. On a peut-être oublié, mais Elf était une entreprise publique. On se souvient que c’était loin d’être l’entreprise de rêve des écologistes…
Si on lit la page impaire du programme de Mélenchon, c’est sympa, si on tourne la page, c’est plus compliqué. Et si on pose le livre et qu’on observe les votes des élus du Front de gauche, c’est encore plus compliqué. Après, on peut ne voir que le côté positif et relire la page impaire, en se disant que les choses bougent. Mais on peut se dire aussi que malgré le magnifique pliage et la réussite du cartonnage, le livre ne sera qu’une lettre morte, quand on verra le nombre de députés en accord avec la “planification écologique” qui seront finalement élus à l’assemblée. Parce que si ce sont les mêmes qui, au conseil régional d’Île-de-France, ont voté contre la gestion publique de l’eau par le Sedif (Syndicat des eaux d’Île-de-France), ce sera vraiment agaçant. Et ce serait le même degré d’hypocrisie que Sarkozy avec le Grenelle de l’environnement.
Je veux bien faire le pari que ce ne soit pas ça, mais les dernières prises de parole annonçant l’incompatibilité des programmes et le refus de gouverner me laissent perplexe. Pourquoi ? Moi je préférerais un Jean-Luc Mélenchon tonnant et tapant du poing sur la table du conseil des ministres. Si c’est ça, et que le parti de gauche n’a droit qu’à la candidature à la présidentielle alors que les communistes conservent la gestion quotidienne des institutions, je suis inquiète. Ça sera comme au conseil régional, où il y a deux groupes Front de gauche, un communiste et un avec les autres ?
Si tout ça n’est que de l’affichage le temps d’une élection, quelle déception…
Vous reprochez donc à Mélenchon d’être allié à un parti pro-nucléaire et productiviste, le PCF. Mais au vu du déroulé de cette campagne, et du détricotage quasi total de l’accord programmatique PS/EELV, n’est-ce pas votre cas aussi ?
C’est vrai mais c’est un accord entre formations différentes. C’est pour cela que nous avons notre candidate à la présidentielle. L’important, c’est « Qui décide ? » et « Jusqu’où va le compromis ? ». Si Mélenchon arrive à imposer sa ligne à l’ensemble des formations du Front de gauche, ce sera une bonne nouvelle. Pour l’instant, ils disent qu’ils ne sont pas raccords entre eux, et ça ne pose pas de problème. Avec nous, au moins, les choses sont claires. On n’a pas intégré le PS, on a un accord avec lui.
Nous, on ne dit pas « ces sociaux-démocrates pourris, on ne leur parle pas et on attend la révolution ». Et on ne dit plus, ce qui a été parfois le cas, « nous les écologistes, on reste entre purs et on ne se mêle de rien ». On prend des risques. On savait que certains essaieraient de ramener cet accord électoral aux législatives à une affaire de tambouille entre les partis, sans y voir à la fois la nécessité et la nouveauté car on pense que c’est utile d’en passer par là, pour ne pas revivre la même expérience de gouvernement que par le passé. Un groupe écologiste au parlement, c’est logique sur le plan démocratique mais c’est indispensable dans la période…
Qu’est-ce qui reste selon vous des enjeux programmatiques initiaux de l’accord avec le PS ?
A la fin de cette campagne, on peut se dire que cet accord n’a pas été passé avec un parti dont le candidat a porté l’écologie dans la campagne. Très clairement. Mais notre stratégie est d’essayer, par la discussion et la conviction, parfois par le rapport de force électoral, de faire évoluer les socialistes. Et il y en a beaucoup qui ont évolué. Aujourd’hui, et depuis qu’on a négocié l’accord, la question du nucléaire se pose au PS. Ce moment de discussion de l’accord, c’était d’ailleurs l’époque où on avait encore des débats de fond. Où on ne parlait pas encore de halal ou de permis de conduire, mais de la dangerosité du carburant MOX.
Mais qu’est-ce qu’il reste de cet accord ? A entendre François Hollande, seule la centrale de Fessenheim sera fermée…
Rendez-vous dans cinq ans, si nous gagnons et si nous gouvernons ensemble. C’est seulement à ce moment-là qu’on pourra faire le bilan. Et on verra alors ce qu’il reste des positionnements de campagne électorale. C’est l’avantage de la vie politique. Rien n’est aujourd’hui définitivement écrit.
Quand on lit le calendrier de la première année de gouvernement de François Hollande, on a du mal à voir à quoi servirait un ministre EELV ?
Peut-être qu’il n’y en aura pas. On aura le débat sur la participation gouvernementale en interne, au lendemain de la présidentielle. A l’heure actuelle, la perspective n’est plus un gouvernement de la gauche et des écologistes, mais un gouvernement socialiste avec éventuellement des ministres écologiques. Et pas de participation du Front de gauche… Peut-être que les choses évolueront.
François Hollande dit que c’est sur son programme qu’on le rejoint, et qu’il est à prendre ou à laisser…
Oui, mais ce n’est pas vrai. Tout le monde sait très bien qu’on ne peut pas « faire comme ça et pas autrement ». Beaucoup de dirigeants socialistes le savent aussi. Si ce n’était pas le cas, effectivement, ce gouvernement ne durerait pas très longtemps. Mais nous sommes avant le premier tour, il y a des postures de campagne entre des candidats qui semblent jouer à un concours de virilité, Marine Le Pen comprise ! Cest sans doute l’élection qui veut ça mais nous, nous n’avons pas joué ce jeu-là. Nous, on a signé un accord qui engage le PS. Par ailleurs nous ne sommes pas sur la ligne des « ministres qui ferment leur gueule ou démissionnent ». Il est possible d’être loyal, mais on ne peut pas imaginer que des écologistes ne seraient pas fidèles à ce qu’ils ont toujours défendu…
Les ministres écolos, ce serait plutôt : “On ne démissionne pas, mais on ouvrira notre gueule” ?
C’est un peu ça. Si François Hollande décidait de reproduire le modèle Sarkozy, là oui ce sera sans nous. Mais ça n’arrivera pas, car ce serait voué à l’échec au même titre que la politique de Sarkozy. Je pense qu’il faudra dans tous les cas maintenir un dialogue soutenu avec le PS, de parti à parti, pour maintenir l’ambiance et la qualité de débat des ateliers de travail préparant l’accord, où l’on était en contact permanent avec la société civile et les corps intermédiaires. Ce serait un moyen d’éviter de rejouer la fin de la gauche plurielle, comme d’éviter de revivre les expériences déçues et sanctionnées systématiquement dans les urnes au scrutin suivant.
Dans ce pays, il n’y a que la droite qui arrive à se faire réélire nationalement. Donc la gauche doit faire différemment. C’est-à-dire ne plus dire : “Je décide, vous exécutez.” D’ailleurs, quand on voit le bilan en Europe des gouvernements strictement sociaux-démocrates, ce n’est pas fameux. Il y a obligation pour le prochain gouvernement d’au moins essayer de penser la croissance différemment. Ne rien tenter, ça peut être une tactique de campagne, ça ne peut pas être une tactique de gouvernement.
Quelles garanties avez-vous que l’accord législatif va être respecté. On ne cesse d’entendre de la part de socialistes des prédictions de dissidences multiples, dans les circonscriptions réservées aux écologistes ?
Je ne suis pas du tout inquiète. On verra qui tient parole et qui ne le fait pas. Chacun le sait, ça n’a pas été simple d’engager notre parti, mais nous avons tenu parole. Si les socialistes ont une conception différente de ce qu’est un accord, on verra. Je ne crois pas que ce soit le cas chez les dirigeants. Est-ce que l’idée c’est de se créer des nouveaux problèmes ? On peut toujours réenclencher la machine à perdre, mais je n’y crois pas…
Dans l’hypothèse où vous obtenez votre groupe à l’Assemblée nationale, comment envisagez-vous la pratique de la démocratie parlementaire. Pourriez-vous être, comme le groupe Front de gauche l’envisage, une “minorité de blocage” à certains projets de loi ?
On peut déjà l’être au Sénat.
En cas de plan d’austérité, par exemple ?
Ceux qui pensent que les écologistes vont être le doigt sur la couture du pantalon ou de la jupe pour faire une politique qui a montré son inefficacité se plantent !
Dans l’accord, il y a une solidarité de vote prévue pour l’adoption du budget…
Oui, mais il n’y a rien de prévu sur une solidarité de vote pour l’adoption d’un plan d’austérité qui ferait passer l’âge de la retraite à 65 ans ou la baisse des minima sociaux ! J’exagère à dessein mais si le choix d’un François Hollande élu président était de faire une politique de droite plus gentille, ça ne pourra pas se faire avec les écologistes. Et je ne pense pas que François Hollande y songe. Mais soyons clairs, Eva Joly avait présenté un contre-budget qui créait des ressources nouvelles et prévoyait des économies, alors nous sommes prêts à travailler et à proposer nos solutions dans la discussion. Les Verts européens ont proposé un plan de réponse à la crise au niveau européen. S’il y a renégociation des solutions européennes, il y a là aussi de quoi trouver de nouvelles pistes.